Hubert Lenoir – PICTURA DE IPSE : Musique directe- L’ALBUM EST SORTI

Ville de Québec, été 2012.

J’entre dans un restaurant shish taouk de la Grande Allée. À ce moment, j’avais tellement pas voyagé dans ma vie que mon background middle-class québécois me donnait l’impression que manger du libanais était quelque chose de très sophistiqué. Il est 2 h du matin et je porte des skinny jeans saumon avec un long t-shirt noir qui feel comme une robe. Les quelques vêtements que j’avais à cette époque me faisaient sentir comme au fashion week 24/7. À la table à côté de moi, trois gars commencent à m’insulter en parlant homophobe pendant que je mange mon taboulé. Je n’ai jamais tellement eu peur de ce que les insultes véhiculent dans leur contenu, mais je suis terrifié de ce qu’elles représentent socialement, tranchantes dans leur livraison, pressées de te séparer du reste du monde, des gens qui dorment et des autres qui mangent juste à côté sans relever les yeux. . Dans un dernier élan pour protéger ma dignité, je lance mon fond de Nestea dans leur direction.

Ils se lèvent. Je me souviens être surpris par la douleur que j’ai ressentie lorsque le premier coup de poing m’a touché le visage. J’avais déjà été frappé quand j’étais plus jeune par d’autres, plus jeunes, mais les coups de poing d’hommes adultes sont extrêmement plus douloureux, fatals, comme un coming of age ; comme la fatalité d’un monde moderne. Un monde injuste et méchant venait faire ma connaissance, passait à côté de ma porte et venait me cogner en pleine face.  

Montréal, automne 2018.

Depuis que Darlène est sorti, ma vie a complètement changé. Je réalise que durant les quelques années qui ont mené à sa création, je m’étais créé ma propre bulle où j’étais à l’abri de toute forme d’agression, de jugement, ou de violence. J’y repense aujourd’hui comme étant les plus belles années de ma vie. J’avais presque oublié que l’existence humaine était rough. Le fame et les controverses sont venus tout changer. Mon existence a été violemment projetée dans le monde pour que les gens puissent me rappeler que je ne « fittais » pas, que j’étais un épouvantail, un alien, une moufette.

Ville de Québec, hiver 2020.

J’ai toujours eu une attirance pour les sons. Tous les sons en général. J’avais pris l’habitude d’enregistrer avec mon iPhone un peu n’importe quel son qui se présentait à moi. Je ne sais pas pourquoi je faisais ça, c’était une obsession. Des conversations entre ami.e.s, un son de machinerie, le bruit d’un boulevard à ma gauche et d’un musicien de rue à ma droite, mon groupe en test de son; j’enregistrais. Peut-être parce que ma vie était tellement chaotique, que j’essayais d’enregistrer des repères. Un peu comme Hansel qui laisse une traînée de cailloux dans l’espoir de retrouver son chemin.

Après trois ans de tournée, de succès, de controverses et d’étourdissements, la vie commençait à pointer dans la direction d’un deuxième album, mais j’avais vécu des choses tellement intenses et ma carapace était tellement épaisse, que j’étais incapable d’écrire quoi que ce soit. Comme si tout s’était passé trop vite et que j’avais eu peine à comprendre ce qui venait de m’arriver, que dans le processus je m’étais transformé ou perdu. Ou peut-être, on m’avait vaincu  Je ne me reconnaissais plus moi-même, je portais un masque. Ou peut-être un casque.

Un beau matin, ça m’est apparu tout d’un coup. J’ai pensé à Pierre Falardeau et à Michel Brault, pionniers du cinéma direct (proto film documentaire), j’ai pensé à cette façon qu’ils avaient de faire des films à partir d’enregistrements vidéo captés dans un contexte naturel. Cette capacité de raconter la vérité à partir du réel. J’ai écouté mes centaines d’enregistrements iPhone et je me suis dit que c’était ça, le chemin qui menait vers moi.

J’ai aussi commencé à m’intéresser à des artistes de field recording, dont un en particulier : Chris Watson et son album El Tren Fantasma. J’ai compris que les humains et leurs environnements ont toujours un rythme et une musicalité lorsqu’on sait les écouter. Depuis que je suis adolescent, j’entends des sons dans ma tête, et c’est sûrement ce qui m’a mené vers la musique au tout début. J’ai commencé à construire des chansons à partir de mes enregistrements, en laissant la vérité brute me guider. C’est devenu pour moi une véritable technique de travail, un processus fin et discipliné qui me permettait d’accéder au réel et à ses paradoxes comme jamais auparavant.

C’est à Los Angeles que j’ai installé les premières fondations de l’album. J’y allais initialement pour travailler sur un prochain album de Kirin J. Callinan à titre de producer et composer. Arrivé sur les lieux, Kirin n’avait que peu de matériel sur lequel travailler et m’a proposé de travailler sur des trucs à moi. Je me suis retrouvé chez Daniel McNeil, Mac DeMarco et d’autres studios d’enregistrement avec des millions et des millions de dollars d’équipement, à travailler principalement à partir d’enregistrements sur mon iPhone. L’insolence était jouissive. J’ai repoussé les limites de ce que je pensais que la musique pop pouvait être. La première piste de l’album, « 9:42PM Nouvel enregistrement », est un enregistrement que Noémie a fait à mon insu, alors que je lui chantais une chanson pour l’endormir. L’album double se termine 20 pistes plus tard avec « f.p.b.», encore tiré d’un enregistrement de iPhone. Un vieux démo que j’ai ré-amplifié dans deux énormes caisses de son avant d’avaler un petit micro au fond de mon estomac pour ensuite recapter la chanson à partir de l’intérieur de mon ventre, au plus près de mon cœur. J’ai vomi plusieurs fois, mais ça valait la peine.

J’ai construit PICTURA DE IPSE : Musique directe en quatre actes (Québec, Paris, Montréal et retour à Québec). Les repères de lieux me sont apparus naturellement dans mon écriture. Je travaillais à partir d’enregistrements d’iPhone que je n’avais pas nommés, puisque j’avais initialement aucunement l’intention de m’en servir.  Quand l’enregistrement n’est pas nommé, l’iPhone l’identifie automatiquement par l’adresse du lieu où l’on se trouve lors de l’enregistrement. Exemple : Place Ville-Marie, Montréal. 

Québec, Paris et Montréal sont  les trois villes où j’ai été pitché de gauche à droite durant les trois dernières années. L’idée d’écrire l’album comme un voyage me paraissait nécessaire. Un voyage forcé dans les fatalités du monde moderne, une transition, un sentiment d’entre-deux, d’inconfort, de ne plus être à la maison et d’y revenir changé.

PICTURA DE IPSE signifie en latin « peinture de lui-même ». Une autre manière de dire autoportrait.

Autrefois, avant que les miroirs soient largement accessibles, les gens faisaient peindre des portraits d’eux-mêmes pour savoir de quoi ils avaient l’air, en quelque sorte pour comprendre qui ils étaient et affirmer leur existence. Dans le cinéma direct, Pierre Perrault voulait capter l’identité québécoise à la source. Mon œuvre n’est pas ancrée dans un projet national, mais il y a un point commun avec l’idée de capturer la vérité à partir du réel, dans l’espoir d’affirmer une identité. Dans le cas de Pierre Perrault, on parle d’une identité collective québécoise; ici on parle de mon identité, de mes questionnements, de mes paradoxes, de ma fluidité. On parle d’un portrait.  On parle du plus personnel. Et j’ai compris plus tard que je parlais aussi du plus universel.

Car du premier croquis aux derniers détails, et au cours des trois dernières années de ma vie, j’ai croisé des gens à travers qui je me suis reconnu, rencontré et trouvé, enchanté, déçu et compris. On est tous le fucké de quelqu’un d’autre. Mais si les humains ont un rythme et une musicalité, alors peut-être forment-ils ensemble cette grande symphonie? Rendre la vie plus intéressante que l’art, c’est la transformer en œuvre elle-même. Avec la musique, le temps d’un instant, d’une longue minute, même, si on tombe sur la bonne séquence, la bonne température et des passages piétons synchronisés, on se sent comme le personnage d’un très beau film, le nôtre et celui des autres, comme si tout n’existe que pour appuyer notre trame et la leur, affirmer notre existence et celui d’un passant. Bonjour. Bonjour 🙂

C’est un peu l’utilité de base de cet album. J’ai voulu m’analyser, parce qu’après le chaos et les étourdissements, je savais plus trop à quoi je ressemblais. On dit qu’on ne peut pas faire une analyse convenable si on a pas les bonnes données. J’avais les enregistrements de mon iPhone, les conversations, les field recordings, la documentation sonore des trois dernières années… J’avais les données, voici mon analyse. J’ai l’ai fait, as good as I can, not as good as it can look. Moi, pour de vrai, preuves à l’appui. À travers plusieurs contradictions, je suis fier d’être qui je suis. Il y a beaucoup de choses que je peux affirmer aujourd’hui que je n’aurais pas pu affirmer il y a trois ans. Même si je dis que les commentaires des autres me dérangent pas, des fois ça me fait de la peine; j’ai peur des guêpes. Quand j’étais au secondaire, j’étais en amour avec mon meilleur ami. Je n’ai jamais rien osé lui dire par peur que ça brise ma vie au complet. ( C’est un peu un coming out lol. Maintenant, est-ce qu’on peut move on et agir en conséquence? ) J’ai écrit SECRET à propos de lui. J’ai une obsession pour les Jaguar XJ350, j’ai une obsession pour les Mercedes Maybach S-Class. J’ai la conviction de pouvoir posséder les deux modèles un jour. J’espère qu’ils vont faire la Maybach complètement électrique d’ici là. Après avoir terminé la sortie de cet album, mon prochain projet est de modifier une Toyota RAV-4 au grand complet. Je sais pas encore si cette nouvelle passion automobile est légitime ou performative. Je m’en criss dans le fond. J’ai déjà voulu mourir deux fois, une fois plus sérieusement que l’autre. C’était une journée en automne où j’ai découvert la malchance, c’était trois jours avant l’ADISQ. Dans un effort de tourner la situation en blague, j’ai dit à un ami que je l’ai pas fait seulement parce que je voulais attendre de voir si j’allais gagner des Félix, mais c’est pas vrai. Noémie, sa simple existence, est la seule et unique raison qui m’a empêché de le faire.

Cet album est maintenant disponible. Je n’ai pas écrit ce texte à des fins promotionnelles, mais plutôt pour donner un contexte à l’album et pour que vous lui laissiez sa chance de venir jusqu’à vous. Cet album n’est pas Darlène, cet album est d’autre chose. Pour la première écoute, plongez pleinement du début jusqu’à la fin sans aucune distraction. N’essayez pas de chercher tout de suite vos chansons préférées. Il y a une raison pourquoi je l’ai sorti d’un seul coup avec un minimum de singles (malheureusement pour mes streams sur Spotify LOL, don’t care, won’t care). Je veux que vous vous fassiez votre propre opinion en essayant de l’aborder sans jugement préalable. Je suis conscient que pour certain.e.s, cet album va être plus difficile à la première écoute. CET ALBUM EST FAIT POUR ÊTRE INCONFORTABLE PAR MOMENT. Tentez une deuxième écoute, essayez de comprendre les sentiments, bons et mauvais, qui viennent à vous. Je suis convaincu que c’est une expérience qui pourra vous changer. Une fois l’album digéré, parlez-en à vos ami.e.s, partagez vos moments favoris, écoutez-les ensemble, ajoutez-les à vos playlists. Il y a plusieurs bangers dans cette heure de musique. Il suffit de trouver lesquels vous conviennent le mieux. Les jours deviendront des semaines et les semaines deviendront des mois. Peut-être que trois, quatre ou cinq chansons vous accompagneront pour viber dans un whip cet hiver ou pendant un barbecue l’été. Mais quand vous en aurez envie, PICTURA DE IPSE: Musique directe sera là, l’œuvre complète sera là, disponible pour une écoute complète, maintenant et toujours.

Pour terminer, j’espère que cet album pourra aussi servir d’hommage à la musique, à mon amour que j’ai pour elle. Une main d’applaudissements pour les sons que j’entends dans ma tête depuis que je suis adolescent, une main d’applaudissements pour les artistes  de la musique pop qui m’ont montré le chemin jusqu’à moi-même, une main d’applaudissements pour la musique qui ne m’a jamais quitté. I was born to do that shit : j’en avais la conviction la semaine que j’ai gagné quatre Félix, j’en ai la certitude aujourd’hui. J’ai réalisé cet album moi même, je suis un compositeur/producer/réalisateur et je suis bon ( engagez-moi pour vos albums ou vos films mais préparez le bag $$$ joke… ou pas, ça dépend qui ). Une main d’applaudissements pour mes quelques ami.e.s, j’espère que l’amour que j’ai pour vous sera éternel. Une main d’applaudissements pour ma meilleure amie d’entre tous, Noémie. Si notre amour est parfois difficile à décrire et à comprendre, c’est parce que c’est un des plus uniques, des plus précieux, des plus beaux. Merci, je te dois tout. Tout le concept de la musique directe est inspiré de toi, de ta manière de voir l’art, tout te revient, ma vie entière littéralement. Une main d’applaudissements pour mes parents qui ne m’ont peut-être pas initié à la musique et aux arts, mais m’ont appris l’honnêteté, la gentillesse et le respect. Une main d’applaudissements à toi qui lis ces lignes et qui t’intéresses, qui prends le temps. Continue de t’intéresser, de prendre le temps. Continue d’aller vers les autres, continue de te remettre en question. Les choses ne sont pas censées rester les mêmes; quelque chose qui ne bouge pas, c’est quelque chose de mort. Sois fluide, sois multiple, sois à l’extrême de ton juste milieu. Cet album est pour toi.

PICTURA DE IPSE : Musique directe
Sincèrement,
– Hubert